Minuit. Elle vient de faire son entrée. Toujours la même chose. Comme si ces connards n’en avaient pas déjà suffisamment pour se rincer l’œil, ils se retournent tous invariablement dès que Penumbra fait son entrée. Bon, je suppose que je ne peux pas le leur reprocher. En cinq années que j’ai passées à travailler dans ce bar, je n’ai jamais vu une… habituée… plus séduisante et sûre d’elle. Elle traverse la salle la tête haute, sa démarche leste et précise. L’œil attentif, elle scrute la foule en détail, mais cela, personne ne le remarque. Son habillement, si on peut le qualifier ainsi, n’en laisse pas beaucoup à l’imagination. C’est d’ailleurs mieux comme ça, les autres clients devront s’en contenter, puisque les… services de Penumbra sont probablement largement au-dessus de leurs moyens. Ses hanches, profilées comme le fuselage d’un avion de chasse, ondulent et avec chaque pas, ses fesses effleurant la pointe de ses longs cheveux au passage. Elle l’air aguicheur mais intouchable, comme il se doit dans ce type de métier.
Ca y est, elle a trouvé son client de la soirée. Elle glisse ses doigts aux ongles parfaitement manucurés, des ongles qui me font frissonner, dans le dos de l’homme d’affaire accoudé au bar en face de moi. Celui-ci se retourne vers elle, et je devine au mouvement quasi imperceptible des lèvres de Penumbra que la mâchoire de celui-ci a dû tomber assez bas devant tant de chair nue… la réaction habituelle, quoi. Moi? J’ai arrêté de fantasmer sur cette fille le jour où je me suis rendu compte jusqu’où elle pouvait aller…
Le couple temporaire se lève et se dirige vers un isoloir, au fond du bar. Il était temps. Le sararimen doit m’avoir demandé une bonne demi-douzaine de fois si je l’avais revue ce soir, quand elle allait revenir, ainsi de suite. Toutes des questions auxquelles il devait posséder plus de réponses que moi. Il semblait nerveux, mais quelqu’un… quelqu’un de normal, du moins… peut-il ne pas l’être après avoir demandé une telle faveur à une telle personne? Malgré moi, ma curiosité voudrait quand même avoir des détails sur la soirée…
>>> 17 septembre 2055, 10 : 57 : 20 <<<
>>> Connexion complétée <<<
: // LTG := 198.134.256.1
: //………………………………
: // Sécurité, Arcologie Renraku.
: // Nom utilisateur : *****
: // Mot de passe : *******
L’écran continue d’afficher des lignes de commandes jusqu’à ce que l’homme en uniforme accède aux caméras de sécurité des appartements corporatifs de la « grande famille Renraku ». Ses doigts tapent rapidement un numéro sur le clavier. Quand il appuie sur « enter », l’une des cases affichant les vidéos de surveillance s’agrandit jusqu’à couvrir l’écran entier. Celui-ci montre maintenant une chambre d’appartement luxueuse, ainsi que deux personnes sur un lit. On peut voir la femme à cheval sur le corps de l’homme. Elle est nue mais son dos est entièrement recouvert de ses longs cheveux noirs.
« Juste à temps… », murmure l’homme en uniforme, ses doigts s’éloignant un peu du clavier. Il se cale un peu plus dans sa chaise et observe l’écran. Un sourire s’esquisse sur ses lèvres.
Un objet métallique, dans les mains de la femme, renvoie un reflet de lumière vers la caméra. L’opérateur de la caméra zoome un peu. La résolution est étonnante : on peut déceler à l’écran que la lame, ou plutôt les lames, ne sont pas au creux de sa main, mais fusent de sous les ongles de la femme. Les yeux de l’homme, sous elle, s’agrandissent brusquement. Si la caméra avait été dotée d’un micro, la suite aurait pris la forme d’un gargouillement atroce, le bruit de l’homme s’étouffant dans ce qui allait bientôt s’agrandir en une tache rouge sur les draps blancs. Au bout d’un moment, essuyant le bout de ses doigts sur ces mêmes draps, la femme se relève tout en prenant deux secondes de plus pour enfiler les minces bandes de tissus qui constituent son habit. « Efficace, rapide… Mais pas très propre », note l’observateur indiscret, dont les mains reviennent vers le clavier. Il sélectionne alors l’archive et appuie sur « delete », puis clique sur l’icône affichant une petite enveloppe. Dans la fenêtre qui s’ouvre, il tape :
- Me suis occupé des caméras. Attend paiement convenu.
- P.S. : Bon boulot.
Il clique sur « envoyer ».
« Déconnexion »
« Merci d’avoir choisi Renraku Computer Systems, Inc. »
Ca y est, ils ressortent de l’isoloir. Les arrangements ont dû durer plus longtemps que prévu. Pas surprenant, Penumbra est du genre négociateur, même quand elle vient seulement me commander un verre, au bar. Pour le peu que j’aie pu lui parler, elle n’a pas l’air d’une psychopathe, du moins pas jusqu’à ce qu’on lui parle d’hommes. Elle les hait, simplement. Pourquoi? Allez savoir… Reste qu’elle profite du fait d’être une femme pour les tuer. Elle rencontre toujours ses clients dans les bars de danseuses. Elle tue toujours ses cibles dans leurs lits, pendant qu’ils la pénètrent. C’est, selon elle, le moment où leur vulnérabilité inhérente est la plus apparente; celle de tomber systématiquement pour une fille qui semble belle et sans défense. Ça me donne froid dans le dos. Mais votre mère vous a appris à ne pas vous fier aux apparences, pas vrai? En réalité, cette fille est chromée de la tête aux pieds : lames digitales, réflexes boostés et autres améliorations cybernétiques. La totale. Bien sûr, en ce milieu de 21¬e siècle, grâce aux médias, on sent de plus en plus la présence de tueurs à gages, d’assassins de toutes sortes. Ils le font pour survivre, pour s’enrichir, pour se venger…
… Ou encore simplement pour le plaisir. Peu m’importe. Moi, je sers les verres.
Reste plus qu’à espérer que ce mec, ce sararimen, ce soir, en a eu pour son argent…
Sujet: Belle et sans défense 
Jeu 27 Nov - 12:37:04
